Point sur l'affaire Gaches Chimie contre Univar Solutions : un dernier mot sur cette saga française du droit de la concurrence

Dans un développement très attendu, la Cour de cassation, a confirmé le jugement rendu le 17 mai 2023 par la Cour d'appel de Paris dans l'affaire Gaches Chimie contre Univar Solutions. Cet arrêt marque la fin de la procédure entre les deux sociétés opérant dans le secteur de la distribution de commodités chimiques et rappelle aux parties dans les litiges en matière de concurrence l'importance d'obtenir des preuves économiques solides à l'appui de leur position.

Contexte de l'affaire

En 2003, Gaches dépose une plainte contre son concurrent Brenntag, l’accusant d’abus de position dominante dans le secteur de la distribution de commodités chimiques. L’Autorité de la Concurrence rejette la plainte en 2006. L’affaire aurait pu s’arrêter là mais un rebondissement survient trois mois plus tard : Brenntag, ainsi que d’autres entreprises, dont Univar Solutions, demandent à faire l’objet de mesures de clémence, reconnaissant leur participation à une entente visant à restreindre la concurrence. Dix ans après la première plainte de Gaches, l'Autorité française de la concurrence constate finalement que ces entreprises ont enfreint le droit de la concurrence et leur inflige une amende de 79 millions d'euros. Dans sa décision l’Autorité de la Concurrence précise toutefois que les pratiques en question ne concernaient pas l’Île-de-France ni le Sud-Ouest, régions où Gaches exerce ses activités.

Suite à cette décision, Gaches dépose deux demandes de dommages et intérêts – une contre Univar Solutions, l’autre contre Brenntag – peu avant la fin du délai de prescription (voir notre article précédent ici).

Concernant sa demande contre Univar Solutions, le juge de première instance accorde à Gaches 260 505 euros de dommages et intérêts en tant que victime de pratiques anticoncurrentielles et 200 000 euros pour le préjudice moral en tant que concurrent.[1]

Selon le jugement, le préjudice moral est justifié par le fait que les actions des membres de l'entente auraient jeté le discrédit sur leurs autres concurrents et que la pression supplémentaire de l'entente aurait empêché les dirigeants de Gaches de se concentrer sur leurs tâches essentielles. Gaches s'est également vu accorder 100 000 euros au titre des frais de procédure. Gaches a néanmoins fait appel du jugement.

La Cour d'appel de Paris[2] confirme l'octroi de 200 000 euros pour préjudice moral, mais rejette les demandes de dommages-intérêts. Elle estime que Gaches n'opérait pas dans les régions concernées par l'entente et n’apportait pas de preuves suffisantes du préjudice subi du fait de ces pratiques anticoncurrentielles.

De son côté, la demande distincte contre Brenntag à Bordeaux est actuellement suspendue, dans l'attente d’une décision dans le cadre de la contestation de la décision de l’Autorité de la Concurrence par Brenntag (affaire à suivre).

La décision de la Cour de cassation

Dans une ultime tentative pour obtenir un résultat plus favorable, Gaches forme un pouvoi et demande à la Cour de cassation d'annuler la décision de la Cour d'appel et de soutenir sa demande d'indemnisation pour le préjudice qu’elle a subi en tant que victime de l’entente. Elle fait valoir qu'Univar Solutions aurait bénéficié d'un avantage déloyal en raison de l'entente, ce qui lui aurait permis de développer ses activités et de nuire à ses concurrents. Elle ajoute que, contrairement aux conclusions de l'Autorité française de la concurrence, le sud-ouest de la France était également impacté par les pratiques.

Néanmoins, la Cour de cassation confirme le jugement de la Cour d'appel. Elle réaffirme que le simple fait d'établir l'existence d'une pratique anticoncurrentielle est insuffisant ; le demandeur doit également démontrer un préjudice réel : « le droit des pratiques anticoncurrentielles a pour objet la protection du libre jeu de la concurrence sur le marché et, dès lors, la caractérisation d'une telle pratique n'induit pas nécessairement, qu'un préjudice ait été causé aux opérateurs actifs directement ou indirectement sur ce marché. […] [L]a partie qui soutient qu'une pratique anticoncurrentielle lui a causé un préjudice, doit en rapporter la preuve. »[3]

La Cour de cassation constate que Gaches ne fournit pas de preuves suffisantes démontrant un impact direct sur son activité ou une distorsion de la concurrence dans sa région due aux bénéfices générés par l’entente.

Ainsi, elle note que, dans le secteur de la distribution de commodités chimiques, les ventes ne sont compétitives que dans un rayon de 200 km et que Gaches n’apporte pas de preuves suffisantes pour démontrer que les pratiques de l'entente s'étendaient au-delà de ce rayon et affectaient sa zone commerciale.

En outre, la Cour de cassation valide le raisonnement de la Cour d’appel, qui a jugé l’analyse économique présentée par Gaches inadéquate et peu fiable. Selon la Cour, la Cour d’appel a estimé à juste titre que le demandeur n’avait pas démontré que les membres de l’entente avaient bénéficié d’économies de coûts dans l’acquisition ou la fidélisation de clients, facilitant ainsi leur expansion dans le sud-ouest de la France.

La Cour de cassation confirme également que l’analyse économique produite par Gaches, visant à établir une corrélation inverse entre les investissements et les résultats d’exploitation des participants à l’entente et ceux de Gaches, tant pendant qu’après l’entente, était trop superficielle. Elle souligne que les entreprises étudiées n’exerçaient pas les mêmes activités commerciales, ce qui remettait en cause la pertinence de la comparaison. De plus, les données financières présentées ont été jugées insuffisamment transparentes, leurs sources n’étant pas vérifiables.

En conséquence, la Cour de cassation rejette la demande de Gaches et la condamne à payer les frais de justice d’Univar Solutions (6 000 €). La condamnation au titre du préjudice moral de 200 000 € quant à elle n’est pas affectée, ne faisant pas partie du pourvoi.

Commentaire

L'arrêt de la Cour de cassation met définitivement un terme à la procédure entre Gaches et Univar Solutions. Si l'indemnisation du préjudice moral est maintenue, cette décision souligne l'importance pour les parties à un litige en matière de concurrence de présenter des preuves économiques solides pour quantifier le préjudice subi. Elle rappelle également la créativité dont font parfois preuve les tribunaux français pour accorder des dommages et intérêts, même lorsque certains aspects de leur demande présentent des faiblesses. Cela est bienvenu si l'on considère la difficulté que peuvent rencontrer les demandeurs pour prouver les pertes subies à la suite d'une entente, en particulier en l'absence de divulgation de la part des membres de l'entente.

Nous remercions Anne-Charlotte Gerbaud pour sa participation à la rédaction de cet article.

Cet article est également disponible en version anglaise.

Footnote

[1] T. Com. Paris, 10 Dec. 2020, no 2013037097
[2] CA Paris, 17 May 2023, no 21/01033
[3] Cass. com. 26-2-2025 n° 23-18.599, Gaches chimie v Univar solutions: "le droit des pratiques anticoncurrentielles a pour objet la protection du libre jeu de la concurrence sur le marché et, dès lors, la caractérisation d'une telle pratique n'induit pas nécessairement, qu'un préjudice ait été causé aux opérateurs actifs directement ou indirectement sur ce marché. […] [L]a partie qui soutient qu'une pratique anticoncurrentielle lui a causé un préjudice, doit en rapporter la preuve."